“Comme un fils” : Un film sur la vocation d’un prof pour l’accomplissement d’un jeune

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Avec plus de 30 années de carrière dans le milieu du cinéma et une dizaine de films à son actif (dont le tout premier réalisé en 1995, “Va mourir”), Nicolas BOUKHRIEF, scénariste et réalisateur français, revient 5 ans après “Trois Jours et une vie”, pour présenter son tout dernier film “Comme un fils”. À travers cette interview, il se livre sur son film et se prête sans détour au jeu des questions…

Bertrand BARRIEU : « Comme un fils » parle d’un sujet passionnant, qui, comme la plupart de vos films, résonne fort avec l’actualité. Pouvez-vous nous présenter votre film en quelques mots ?

Nicolas BOUKHRIEF : Jacques, un professeur qui a perdu la flamme tombe sur un mineur Rrom isolé parti en vrille et qui a des ennuis avec la police. Témoin d’une agression dans une épicerie de quartier, il permet l’arrestation de l’un des voleurs : Victor, 14 ans. Mais en découvrant le sort de ce gamin déscolarisé que l’on force à voler pour survivre, il va tout mettre en œuvre pour venir en aide à cet enfant perdu, si mal parti, tendu comme une arbalète, insaisissable mauvaise graine qui ne cherche au fond rien d’autre que l’attention de l’adulte qui lui permettrait de sortir de la misère à laquelle il se croit condamné.

B.B. : Ce film interroge sur le périmètre de la vocation de professeur, de son altruisme auprès des jeunes en termes d’accompagnement, mais pose aussi la question de savoir si aider un jeune dans une situation difficile ne représente pas à la fois un risque pour soi et un danger pour lui ?

N.B. : Oui, c’est la première thématique du film : “Que feriez-vous à ma place ?” On voit comment Jacques, qui n’a au fond jamais renié ses idéaux de prof malgré sa douloureuse séparation d’avec l’institution, retrouve au contact de Victor le goût du don de soi auprès des autres. Quitte à faire face au conformisme de la société sur la vision de son métier, aux préjugés ou aux calomnies, mais aussi à affronter ceux qui l’exploitent. Il a de la chance, il tombe sur des services d’aide à l’enfance professionnels et perspicaces. La seconde thématique, c’est de s’interroger sur l’aide que l’on apporte au jeune et à sa mise en danger. En effet, il va falloir le couper de son monde et casser ses références pour l’inciter à construire les siennes, de façon à être libre de ses choix. En luttant contre les réticences mêmes de Victor pour tenter de lui offrir un avenir meilleur, Jacques va changer son propre destin.

B.B. : Pouvez-vous nous en dire plus sur la genèse du film ?

N.B. : J’avais depuis longtemps en tête deux idées. D’abord, un film avec un enseignant pour héros, parce que depuis Samuel PATY, les enseignants sont des héros du quotidien qui peuvent donner leur vie pour leur métier et ses valeurs d’éducation et d’autonomie portées auprès des jeunes. Ensuite, j’avais aussi le souhait de parler des Rroms, parce qu’ils sont traités comme des parias dans les divers pays européens et qu’ils vivent doublement cette exclusion dans leur pays d’origine : la Roumanie. Leurs conditions de vie sont inimaginables.

B.B. : Comment avez-vous abouti à la concrétisation de vos idées et comment s’est déroulée votre rencontre avec Vincent LINDON ?

N. B. : Un jour, j’étais avec un ami qui partage ma passion du cinéma et notre conversation vient sur Vincent LINDON, avec qui je voulais tourner. Je le voyais bien dans le rôle de ce professeur désabusé dans mon film, du fait de sa personnalité, des valeurs et des causes qu’il défend. Mon interlocuteur, qui a ses coordonnées, me propose de l’appeler. Coup de chance : il répond et me dit qu’il se trouve à proximité et qu’il nous rejoint. Il se montre intéressé par le projet, décide de travailler avec moi et alors tout démarre !

B.B. : Comment avez-vous choisi le jeune Victor (Stefan Virgil STOICA), remarquable dans son rôle ?

N.B. : Au départ, je voulais un Rrom, alors on a prospecté. Seulement, en réfléchissant, je me suis aperçu que cela aurait pu être malhonnête et dangereux pour ce jeune, de le faire vivre en pleine lumière pendant quelques semaines de tournage, puis de promotion du film, pour ensuite le laisser repartir dans l’ombre de l’anonymat, sans aucun accompagnement. On a des exemples dans le cinéma, comme Gérald THOMASSIN (Le petit criminel – 1990). Nous avons alors plutôt cherché dans les écoles de cinéma et de théâtre, dans lesquelles il y a des Roumains, évidemment, mais aussi de Rroms. Nous avons découvert Stefan Virgil STOICA. Son école de théâtre l’a libéré le temps du film, parce que c’était une vraie opportunité pour lui. Il ne parlait pas le français, mais malgré cela, c’est amusant, parce que le courant est tout de suite passé entre Vincent LINDON et lui… et ils ont communiqué dans la langue qu’ils avaient en commun : L’anglais. Et cela a été pareil avec moi. Du coup, il a traversé le tournage du film, sans trop comprendre les conversations des autres. Il est venu à Paris avec sa famille pour la sortie. Nous restons en contact.

B.B. : Et puis, il y a les méchants, le contexte familial du jeune Victor, avec Andréas, son “protecteur” et oncle, dont on ne sait pas vraiment qui il est…

N.B. : En effet, le personnage est ambigu. Ce n’est certainement pas l’oncle. C’est le chef de clan, qui protège ceux qui le composent. Mais, en contrepartie, il oblige les jeunes à voler pour la communauté. Il persécute Victor, parce qu’il n’est pas entièrement Rrom, car un seul de ses parents est Rrom. Il harcèle et persécute ce jeune, car pour lui, il est aussi en partie un étranger. Il y a du rejet, du racisme chez lui. Mais c’est le seul vrai méchant de l’histoire, car je ne voulais pas en rajouter sur les Rroms (qui sont déjà ostracisés) en les rendant eux-mêmes racistes. Les autres membres ne sont pas comme lui, il y a aussi de l’amour dans ce bidonville, car on voit les mères, les enfants vivre en harmonie, malgré la misère.

B.B. : À la fin du film, on ne sait pas vraiment ce que devient Victor, même s’il serre la main de Franck sur son lit d’hôpital. Bien sûr on imagine qu’il a trouvé une nouvelle famille d’adoption…

N.B. : J’ai pensé à plusieurs fins : l’une par exemple, se déroulait dans la maison de Jacques et à moment donné, on voyait Victor. L’autre, ou l’on voyait Jacques et l’animatrice de l’association dans les locaux de celle-ci. Dans la cour, on voyait Victor jouer avec des camarades, d’où on déduisait qu’il était avec eux. Mais je me suis dit que cela, tout le monde pouvait l’imaginer et que ça ne rajoutait rien. J’ai donc préféré rester sur cette image, que je trouve plus forte. Ainsi, le spectateur en tire lui-même ses conclusions sur l’avenir…

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