La famille Guérin perpétue le spectacle de Guignol à Bordeaux depuis 1853. L’un de ses jeunes représentants, David Guérin, fait vivre la tradition tout en débordant de projets.
On distingue d’abord, émergeant d’une valise ancienne, une bouche souriante, un nez proéminent, des yeux vifs sous des sourcils relevés. C’est bien à Guignol qu’appartient cette tête hilare, taillée dans du bois de tilleul. À côté de lui sont soigneusement rangées d’autres figurines, certaines plus que centenaires, qui n’attendent que les doigts du marionnettiste pour reprendre vie. L’appartement de David Guérin et de sa compagne reflète parfaitement leurs passions et recèle, outre cette valise extraordinaire, mille trésors issus de la famille Guérin. Tous les Bordelais connaissent le Guignol Guérin et ses castelets installés au Parc bordelais et au Jardin public, pour y être allés eux-mêmes étant enfants ou pour y avoir emmené leurs enfants ou petits-enfants. « Je représente la sixième génération des Guérin, descendant d’Etienne qui a fondé le spectacle de Guignol à Bordeaux en 1853 » explique David. Il souhaiterait que le 170ème anniversaire de cette belle institution soit fêté dignement.
Guignol a beaucoup voyagé…
Venu de Lyon grâce à Etienne Guérin, Guignol s’est parfaitement implanté à Bordeaux. Le « gone » émaille régulièrement ses répliques de quelques mots de bordeluche*. Ce personnage, populaire depuis ses débuts, se montre toujours comique, grand amateur de jeux de mots et volontiers redresseur de torts. Chez les Guérin, on apprend le métier sur le tas, en véritables « enfants de la balle ». « À quatre ans, on commence à manipuler un peu, debout sur une chaise. On s’imprègne des textes et des histoires en assistant aux spectacles et on s’y met tout naturellement » explique David en évoquant son enfance. En 2023, ils sont trois Guérin, André, Philippe et David qui maintiennent vivante cette tradition inaugurée au milieu du XIXème siècle. Ils se produisent dans les parcs de Bordeaux ou dans d’autres lieux, au gré de leurs tournées. Ils poursuivent ainsi la tradition foraine de ce spectacle, qui a même amené leurs ancêtres, au début du XXème siècle, à embarquer leur petit théâtre à bord de paquebots en partance de Bordeaux. Il expose et explique volontiers son trésor de photos et de documents avec passion : « Nous entretenons un patrimoine vivant » dit David avec enthousiasme« .
170 ans, mais toujours en projet !
Le souhait de David serait de parvenir à créer un lieu permanent de spectacle et d’exposition pour Guignol, qui pourrait aussi s’ouvrir à d’autres formes artistiques. L’imposante collection (plus de mille objets !) et les très riches archives de la famille Guérin pourraient devenir accessibles à un large public. Un tel lieu, qui pourrait être partagé entre plusieurs structures, permettrait d’accueillir des marionnettes issues d’autres traditions et faciliterait des moments d’échanges avec le public.« Je pourrais aussi remettre en scène les grandes pièces consignées dans les carnets rédigés par mes aïeux » explique David en feuilletant de très anciens cahiers calligraphiés. « Le public répond présent chaque saison lorsque nous nous installons à l’Inox » relate le marionnettiste avant d’ajouter, « Guignol n’est pas un spectacle destiné uniquement aux enfants. Il y a plusieurs niveaux de compréhension possibles de nos spectacles. Mourguet lui-même (le créateur de Guignol à Lyon) était marqué par la commedia dell’arte ». Cette influence se reflète aussi dans l’art du guignoliste : son jeu repose sur un canevas, à partir duquel il peut improviser, broder, interagir avec la salle… Dans le même ordre d’idées, David Guérin serait ravi si une maison d’édition voulait se pencher sur les foisonnantes archives de sa famille. « On pourrait imaginer un beau livre sur l’art des Guérin » conclut David. Cela mettrait en valeur un patrimoine ancré dans la vie bordelaise et entretenu par la même famille depuis 170 ans…
*bordeluche : registre de langue autrefois très usité à Bordeaux.
Francis
