Ce 2 mars 2023, l’équipe organisatrice du Festival International du Film Indépendant de Bordeaux (FIFIB) reçoit pour un premier entretien exclusif un groupe des Séniors Reporters. Johanna Caraire, Aurélie Oria Badoc, et Emma Picard ouvrent les coulisses préparatoires du festival et se prêtent aux questions de Bertrand Barrieu, Patrick Jallageas, Éric Martel et Patrick Quilleré. Cet événement majeur de la scène culturelle bordelaise, désormais en préparation largement avancée, se déroulera du 18 au 23 octobre 2023.
Bertrand Barrieu: Voilà trois ans – en 2021, en 2022 pour sa dixième édition et en 2023 – que le FIFIB est couvert par l’équipe des Séniors-Reporters. D’où l’envie – hors des jours d’ouverture au public du festival – d’en découvrir et d’en divulguer les coulisses.
Johanna Caraire : « Le FIFIB est un festival de films sélectionnés par notre collectif. Les divers postes s’articulent autour de deux équipes : la première, concerne la partie artistique et la communication. C’est celle que je développerai, car c’est celle sur laquelle j’interviens au début puis à la fin du processus. La seconde équipe, pilotée par Pauline Reiffers, concerne la post-production, c’est-à-dire les partenariats, le financement et l’événementiel. Son activité monte en puissance dès le mois de juin. Les deux parties n’interviennent pas sur les mêmes domaines ni aux mêmes périodes dans l’année. Il y a donc une certaine indépendance des pôles, qui se challengent entre eux. Mais bien sûr avec des échanges réguliers, car il s’agit d’allier artistique et événementiel. Ceci passe par le respect de leurs décisions. C’est ce qui permet la qualité de la sélection. Exemple : un invité particulier sélectionné par une des équipes peut coûter cher, mais pour l’autre groupe la dépense ne doit pas nécessairement être un obstacle à sa présence effective ».

Éric Martel: Comment les films arrivent-ils pour le festival ?
Aurélie Oria Badoc et Johanna Caraire : « Durant toute l’année, une newsletter est diffusée régulièrement sur les réseaux à une base de contacts, qui s’étoffe d’année en année : producteurs, diffuseurs…. Cela ramène des films, courts métrages (producteurs) et longs métrages (diffuseurs) sur notre plateforme informatique d’appel à films. Elle fonctionne entre avril et juin. Elle est annoncée en amont par la newsletter, les réseaux sociaux et notre site. Ouverte il y a une semaine aujourd’hui, date où nous nous rencontrons, 40 films sont déjà déposés, ce qui est encore en augmentation par rapport à la dernière édition 2022 pour une même période. La base de collecte est complétée par des films que nous repérons dans les divers festivals, tels que Berlin, Cannes , etc. pour lesquels le FIFIB dispose d’une accréditation. Au total, ce sont plus de 700 films entrés dans la base. Il n’y a donc pas de relance et de moins en moins de publicité à faire. La notoriété et la reconnaissance du festival font le reste ».
Patrick Quilleré: Comment se passe la sélection ?
Johanna Caraire : « La collecte et les premiers visionnages ont lieu entre avril et juin. Ils sont effectués par un comité de 7 membres de l’équipe organisatrice. Natacha est responsable de programmation, aidée par Garance et deux volontaires en Service Civique. Chacun visionne entre 150 et 300 films. Et chaque production est vue deux fois, pour cette sélection initiale. Au final, 70 réalisations environ seront retenues. La sélection est très diverse. Elle s’adresse à tous types de public. Elle comprend toutes catégories de films, en compétition et hors compétition, longs métrages et courts métrages, documentaires et fictions ensemble (un documentaire reste aussi une forme de fiction, ne serait-ce que du fait de son montage, des musiques…) ».
Patrick Jallageas: Une fois la sélection réalisée, que se passe-t-il ensuite ?
Johanna Caraire : « Après les sélections vient le temps de la production. Les mois d’avril-mai à septembre constituent les moments forts pour réaliser le plus gros de cette production. Tout doit se mettre en place et tout va crescendo. On commence par la création de l’affiche et de l’identité visuelle de l’année. En 2023, notre choix est de partir d’un graphisme visuel et non d’une image. Ce motif fort, autour du logo du FIFIB, doit être simple, lisible d’emblée par le public et imprimer l’image de notre festival de cinéma. En constituer véritablement la marque. Ensuite, dès juillet-août, viennent les traductions, réduites à notre site internet cette année, car très chronophages. Puis, ce sont les présentations des films pour notre plaquette, les grilles de programmation pour notre serveur de données et les réseaux sociaux, la Gazette de l’Utopia, les réseaux de diffusion et d’affichage (Print, abribus, bus). Enfin, viennent les rendez-vous avec les différents partenaires… Sans omettre tous les financements, qui imposent certains choix et exigences. Les équipes FIFIB vont alors comprendre une trentaine de personnes. Articuler la programmation avec ces visuels n’est pas facile, car, au début de cette étape, la sélection des films et des invités n’est pas définitive : des impondérables tels que la disponibilité des invités, les thématiques d’actualité, ou autres, peuvent encore faire largement évoluer les choses et imposer des modifications. Mais comme tout s’accélère, on va partir d’une synthèse globale, base de la communication pour tous nos supports et canaux. Le calendrier est extrêmement serré, puisqu’il faut établir tous ces éléments – notamment le guide d’une soixantaine de pages – en deux ou trois semaines ».

Éric Martel: Qu’en est-il de la logistique ?
Johanna Caraire : « Le Festival impose une très grosse logistique. C’est un gros poste financier. Salles, accueil, prise en charge des invités, voyages, déplacements, hébergements, restauration, avec tous les impondérables possibles : grèves, incidents, retards, décommandes, régimes ou exigences particuliers, par exemple. Le poste VHR (Voyages, Hébergement, Restauration) est occupé par Kéwan, qui est heureusement d’une grande efficacité et surtout d’un calme à toute épreuve. Un atout essentiel pour le bon déroulement du projet ».
Patrick Quilleré: Chaque année, le FIFIB présente un certain nombre de thématiques. Quel devenir pour les films sélectionnés ou primés ? Quelles actions, hors du cadre des cinq jours du festival, sont-elles menées tout au long de l’année ?
Johanna Caraire : « La programmation comprend des longs métrages et des courts, en et hors compétition, les cartes blanches données aux invités aussi. Conformément à sa vocation, il n’hésite pas à programmer des films « coups de cœur », dont certains ne seront pas distribués. Par ailleurs, partie moins visible du FIFIB, des projections sont réservées au public professionnel, important à ce festival. Elles lui permettent ainsi de vrais choix originaux de distribution, notamment pour des courts métrages. La sélection « Contrebande » jouit ainsi de beaucoup de liberté et offre de vraies pépites ou surprises. Par exemple, l’an dernier, pensée à priori destinée aux jeunes, elle a énormément plu à des séniors. 4 lauréats FIFIB catégorie « Talents en court » permettent de repérer et d’aider, avec la Région Nouvelle-Aquitaine, de jeunes talents émergents éloignés à priori du cursus habituel. Des jeunes qui n’ont pas pu, ou pas su, faire des écoles de cinéma et qui sortent des sentiers battus au travers d’un premier court métrage. Le FIFIB, ce n’est pas que le temps du festival. Il intervient aussi dans le scolaire, le médical spécialisé pour les jeunes (Centre Abadie), les publics éloignés de la culture ou en difficulté (associations La Cloche, Amis de l’Utopia, prison), et d’autres encore. Il opère aussi dans la vie des films avant leur finalisation et porte une aide aux créateurs. Il offre ainsi une « résidence » à certains. Aussi par un concours de films en cours de montage il permet d’attribuer des aides pour le montage, le mixage, la colorisation ou encore la post-production. Enfin, le Festival participe comme partenaire durant l’année, à diverses manifestations en Nouvelle-Aquitaine ou ailleurs, comme des actions de post-production (étalonnages, mixages, effets spéciaux), ou avec la SACEM* pour des compositeurs et avec la FEMIS** pour des formations, ou bien encore au travers des journées des exploitants».
Patrick Jallageas: Parmi toutes les actions, des orientations particulières en faveur des jeunes semblent émerger pendant et hors festival ?
Aurélie Oria Badoc : « Au sein du festival, il y a le FIFIB-JEUNES. Cette année, un accent pour une sélection vers les écoles est mis sur la Comédie Musicale. Ce sera la première sélection bouclée, car c’est presque fait aujourd’hui. Puis, commence la tournée pédagogique. Le FIFIB travaille toute l’année avec les scolaires pour développer l’appétence au cinéma en collaboration avec le Rectorat de Bordeaux (plateforme ADAGE***) ou les classes élémentaires au travers de l’Inspection Académique de la Gironde et l’action « École et Cinéma ». Un regret, pour le moment : pas de classes maternelles participantes».

Bertrand Barrieu: Pour conclure, l’identité, la personnalité du FIFIB, c’est ce qui le qualifie et le démarque pour les professionnels et le public, des autres manifestations de cinéma. Quelle est, en définitive, l’image de marque du FIFIB en tant que festival et quel aspect souhaiteriez-vous mieux en faire connaître ?
Johanna Caraire : « La marque du FIFIB, c’est l’idée d’indépendance. Au sens de la nécessité pour quelqu’un de parler de quelque chose avec une démarche artistique de liberté de création. De pouvoir mélanger les créations pointues, expérimentales avec des choses plus populaires. D’aller explorer des endroits nécessitant audace et prise de risques. De pouvoir s’extraire aussi du contrôle de l’industrie cinématographique. Pas un cinéma de commandes. Le FIFIB paraît souvent comme un festival branché, réservé à une élite intellectuelle jeune. Nous voulons faire entendre un autre message, celui d’un festival ouvert à tous publics, même non cinéphiles, ou peu réceptifs aux festivals cinématographiques. Enfin, la semaine d’exploitation, suivie par vos soins durant trois ans, vient en apothéose et concrétise tous les efforts, que nous avons évoqués, réalisés en amont tout au long de l’année . Mais ce n’est là que la partie émergée de l’iceberg de l’immense travail fourni pour sa préparation d’un festival à l’autre ».
* SACEM : Société des Auteurs Compositeurs et Éditeurs de Musique.
**FEMIS : École nationale supérieure des métiers de l’image et du son.
***ADAGE : Application Dédiée À la Généralisation de l’Éducation artistique et culturelle.
Bertrand Barrieu, Patrick Jallageas, Éric Martel et Patrick Quilleré.
Pour en savoir plus. https://www.fifib.com/