Pour célébrer ses 40 ans, le Fonds Régional d’Art Contemporain Nouvelle-Aquitaine a souhaité présenter, du 31 mars au 17 septembre 2023, l’œuvre de l’artiste Pierre Molinier (1900-1976) en rassemblant autour de lui des artistes travaillant également autour de la thématique du corps, du genre, du travestissement et de la sexualité.
Dès sa création, le FRAC Aquitaine acquiert en 1983 trente photographies de Pierre Molinier qui vécut au 7 rue des Fossets à Bordeaux. Ces œuvres constituent le socle de l’exposition dont le titre force la curiosité : Molinier rose saumon « nous sommes tous des menteurs ». Cette exposition collective éclaire une thématique qui est autant «contemporaine que transgénérationnelle ». L’événement (réservé à un public majeur) aurait pu, en d’autres temps, être censuré, c’est peut-être en cela que «nous sommes tous des menteurs».
«Le grand combat»
«Le grand combat» est le titre annonciateur d’un tableau représentant des corps entrelacés, il est présenté par Pierre Molinier au salon bordelais des indépendants en 1951. Ce tableau fait un tel scandale que l’artiste le recouvre d’un voile et accroche un texte manifeste qui dénonce le conformisme de ses pairs et de la société bourgeoise. Cet événement signe l’acte de naissance d’une œuvre majeure du XXème siècle. Adèle Rigondet, médiatrice, lève le voile de cette exposition : «On dit souvent que le saumon remonte à contre-courant, Pierre Molinier est un saumon à contre-courant». Quant à la couleur rose, elle définit encore aujourd’hui le genre. « Questionner l’identité de genre, c’est ce que faisait Pierre Molinier avec la photographie » poursuit Adèle Rigondet. En évoquant le mensonge, les commissaires de l’exposition ont tenu à raviver le mythe qui accompagne le personnage Pierre Molinier.
Molinier fait tomber les masques
Cette exposition rassemble les œuvres d’une cinquantaine d’artistes et pourtant les tableaux, collages et photographies de Molinier dominent sans partage l’espace du FRAC malgré leurs petites dimensions (13×18 cm environ). Les photomontages sont réalisés à partir de photographies de lui-même ou d’ami-e-s qui posent apprêtés, masqués et vêtus d’accessoires explicites. Les scènes érotiques dominent les images de Pierre Molinier : corps enlacés, travestissements et mises en scène manifestent le plaisir. Les autoportraits «fétichés» mettent en avant l’ambiguïté de genre qui habite l’artiste; laisser une trace de son passage serait celle de «l’idéal androgyne». «Beaucoup d’écrivains, de chercheurs considèrent Pierre Molinier comme un mythomane, il a dit beaucoup de choses que l’on soupçonne fausses mais qui ont participé à la création du mythe » relate Adèle Rigondet. La composition des œuvres s’articule singulièrement autour d’un axe de symétrie qui rappelle les représentations de la mythologie hindoue, cet axe peut être aussi considéré comme la métaphore de la limite qui sépare la pensée non conforme et la bien-pensance. Le travestissement, quant à lui, devient très utile pour montrer ou cacher le refoulé. Finalement, Pierre Molinier dévoile plus qu’il ne dissimule dans ses œuvres, elles éclairent la réalité d’une face intime et universelle de la société que celle-ci préfère taire. Avec lucidité, Pierre Molinier écrivait dans son manifeste de 1951 l’extrait suivant : « Pour le peintre, son œuvre est le résultat logique du drame intime de l’univers qu’il s’est créé. »
Pour aller plus loin:
Podcast France Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-vie-une-oeuvre/pierre-molinier-a-mon-seul-plaisir-1900-1976-8549300
FRAC MÉCA: 5 parvis Corto Maltese, quai de Paludate, BORDEAUX Tél : 05 56 24 71 36